La colère en entreprise : tabou ou atout ?

Sophie Galabru, Agrégée et docteure de philosophie, auteure et conférencière
La colère que nous éprouvons n'est pas accidentelle. Elle fait partie des six émotions primaires : que nous le voulions ou non, elle surgit en nous pour répondre à certaines situations. Mieux vaut donc la comprendre que l'ignorer, d'autant plus que son refoulement risque de la transformer en explosion violente. Il n'en demeure pas moins que cette émotion demeure difficile à accepter et à comprendre. Pourquoi dérange-t-elle tant ? Est-il légitime de l'éprouver au travail ?
Une émotion mal perçue
Haussement de voix, accélération du débit verbal, expression faciale de fermeture, serrement des mâchoires, rythme cardiaque plus rapide : toutes ces manifestations physiques de la colère semblent en décalage avec la raison froide, lumineuse et calme. Pourtant, lorsqu'un obstacle s'impose sur notre chemin, ou bien un désaccord, sinon une offense, comment ne pas éprouver ce bouillonnement ? Ce qui vient du corps est-il forcément irrationnel ? Ce privilège accordé à l'esprit sur le corps nous vient de loin. Les philosophes rationalistes depuis l'Antiquité estimaient que la raison doit toujours gouverner le corps, sans quoi nous risquons de basculer dans l'animalité où la démence. La colère met donc mal à l'aise parce qu'elle émane d'un corps jugé grossier, ou encore d'une sensibilité mal venue, mais aussi parce qu'elle dérange l'organisation d'une relation ou d'un groupe. Elle refuse ce qui peut être confortable pour les uns et menaçant pour les autres. Elle fait émerger des non-dits, réclame une vérité, exige un changement.
Cette émotion est pourtant une ressource essentielle qui détient une signification. Nous la ressentons lorsque les valeurs de la vie, de la justice, de la dignité ou encore de la liberté sont abîmées. Loin d’être sauvage, cette émotion nous aide à survivre face à des situations jugées dangereuses, abusives ou offensantes. Elle est une façon de réveiller notre esprit à ses intérêts et à ses combats légitimes.
Une émotion relationnelle
Parce que toutes les émotions jouent un rôle dans le bien-être mais plus encore dans la santé mentale, elles influencent la productivité des salariés. De ce point de vue, les études managériales n’ont pas cessé de recourir à divers outils pour orienter les collaborateurs vers des émotions dites positives.
Malgré cette incitation à la joie et le déploiement de “chief happiness officers”, les émotions de toute sorte continuent de circuler au travail, y compris la colère ! Des études ont montré que cette émotion est davantage employée par les dirigeants pour affirmer leurs attentes, se faire respecter, contraindre à agir et désapprouver des erreurs dans le but de remotiver. Ainsi, lorsqu’elle paraît être le fruit d’une énergie conquérante et dynamique, la colère se tolère mieux. En revanche, quand elle émane de la frustration, d’un désaccord ou d’une revendication, elle effraie, parce qu’elle semble déséquilibrer une hiérarchie, sinon appeler un changement vers l’inconnu. Pourtant, loin de chercher le rapport de force, la colère tente de retrouver un point d’équilibre quand celui-ci a été perdu. Il vaut donc mieux l’identifier, la comprendre et lui trouver un programme d’expression. D’autant plus que l’étouffer ne conduira pas à l’apaiser. Pourquoi ? D’abord, parce que la refouler, c’est l’exaspérer. Réprimée, la colère peut se muer en agressivité passive contre l’autre (retards, absence de réponse aux mails, négligence, etc.) ou contre soi-même.
La neurobiologie démontre que son accumulation dans le corps peut même déclencher diverses pathologies. Ensuite, parce qu’elle est un vécu qui participe de la connaissance de soi, en nous poussant à voir ce que nous n’osons pas affronter : des non-dits, une déconsidération de ses idées, et parfois même un danger, sinon une injustice.
Identifiée et assumée, elle permet de réguler nos liens et d’éviter l’escalade vers la violence. Elle renforce aussi mon empathie : si je sais comprendre ma colère, je peux la reconnaître chez l’autre et l’entendre plutôt que le fuir. Ce qui ne veut pas dire que le dialogue sera éloigné de tout désaccord. Cependant, il n’aura rien à voir avec la haine, sentiment visant à nier l’autre.
Être en conflit peut donc s’exercer dans le respect d’autrui à condition d’oser lui exprimer notre conception divergente à propos d’un projet qui nous réunit, ou encore de lui révéler les valeurs que nous avons choisies pour mener notre action, et surtout l’inviter à faire de même. Finalement, oser le désaccord, c’est faire preuve d’optimisme, car c’est croire que la différence ne mènera pas nécessairement à la destruction ou à la rupture, mais à la négociation.
De la prévention à la cure
En somme, la colère au travail naît d’une situation jugée stressante : déconsidération des idées, entrave dans un projet, négligence de la vie personnelle, absence de communication. Il existe bien des manières de la prévenir et notamment selon trois grands axes :
- D’abord, autonomiser les collaborateurs pour renforcer leur responsabilité dans la manière d’atteindre des objectifs.
- Ensuite, gratifier les résultats et les efforts, car nous avons tous besoin de reconnaissance.
- Enfin, assumer ses idées et respecter celles des autres.
Et si la colère s’est déjà installée ? Il faut accepter que chacun puisse prendre du temps pour s’isoler et réfléchir, verbaliser à l’écrit ou à l’oral, et ne pas hésiter à recourir à la médiation avec un tiers interne ou externe à l’entreprise. Rappelons-nous surtout qu’une émotion, quelle qu’elle soit, n’a jamais vocation à durer. Accepter la colère et tenter d’en résoudre les motifs permet de la dissiper. Mieux vaut la comprendre que la nier. Sinon, gare au retour du boomerang !
Sophie Galabru
Sophie Galabru est philosophe, conférencière et auteure. Son premier essai Le visage de nos colères (Flammarion, 2022, Livre de poche, 2023) a été récompensé par le Prix de philosophie des Lycéens. Elle a également publié Faire famille, une philosophie des liens (Allary, 2023, Le livre de poche 2025).
Dernière parution : Nos dernières fois. Défier la nostalgie, Allary Editions, 16 janvier 2025.

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