Le courage en haute voltige

Dorine Bourneton - Aviatrice, écrivaine et conférencière

Comment faire quand je ne sais pas faire et quand je sais que personne ne peut me montrer ni me l'apprendre puisque personne ne l'a appris avant moi ? Comment je peux m'ajuster, m'adapter face à des situations complexes, imprévues ou inconnues ? Comment évoluer dans cette zone de liberté qui se situe entre la confiance et la prise de risque ? À cette question, nous avons eu ou nous aurons tous à y répondre un jour, seuls ou à plusieurs, pour nous-même ou en équipe, à titre personnel ou dans notre vie professionnelle, à différents moments de notre existence.

Après l'accident d'avion qui m'a clouée dans un fauteuil roulant à 16 ans, j'ai vécu ma vie de femme paraplégique comme un perpétuel dépassement de soi, c'est-à-dire comme l'une des plus belles formes de performance qui soit, vis-à-vis de soi. Même si les marches les plus difficiles à escalader en fauteuil ne sont pas les trottoirs ou l'entrée des commerces mais bien les préjugés, les idées reçues sur le handicap et qui nous condamnent à notre triste sort. Mon rêve de devenir pilote de voltige est pourtant devenu réalité grâce au soutien de nombreuses personnes passionnées et audacieuses. Un défi qui au-delà de l'exploit sportif ne serait jamais devenu cette aventure humaine sans le travail et la détermination de chacune de ces personnes.

Quand on s'est battue de longues années en équipe mais souvent peu nombreux pour faire reculer les idées reçues, pour ouvrir les esprits et faire changer la loi ; quand on s'est battu sans discontinuer avec souvent peu de moyens mais avec détermination ; quand on s'est battu ainsi chaque jour, chaque mois, et qu'à la fin on arrive enfin à déplacer la montagne qui se dressait face à nous, on sait que la première de nos forces aura été d'avoir eu du courage.

Le courage est selon moi la plus grande des qualités, la réponse à tout. Le courage n'est pas lié à une force physique exceptionnelle ou une audace hors norme. Mon avis est que le courage est lié à une certaine capacité à voir les choses, à porter un regard sur ce qui est possible.

Quand j'ai décidé de réaliser mon rêve de devenir pilote de voltige, j'avais une vision très claire que mon rêve avait une réalité. Bien sûr il a fallu du travail, de la ténacité, j'ai dû m'accrocher. On ne devient pas la première femme paraplégique pilote de voltige au monde sans effort. Tous ces efforts étaient mis en œuvre pour réaliser mon rêve. Mon véritable courage a été d'avoir cette vision que je pouvais y arriver, d'entretenir cette lumière qui me disait que mon rêve était possible.

Quelle plus belle forme de courage que celle d'Adrienne Bolland, pionnière de l'aviation qui en 1921 à bord d'un Caudron G3, un avion très léger en bois collé a su voir soudain que l'air ascendant à flanc de la Cordillère des Andes pouvait la faire monter et passer au-dessus de la chaîne de montagnes qu'on disait infranchissable... Quel a dû être l'éclat de son regard quand à cet instant précis elle a compris que cela était possible !

Cette petite seconde est pour moi ce qu'on appelle le courage, une vision juste et éclatante des choses que l'on saisit à un moment donné. Une vision merveilleuse qui apparaît l'espace d'un instant au fond des yeux, une lumière qui révèle le courage... Ce courage qu'on lit dans les yeux d'un enfant quand un jour il parvient à marche... Ce courage qui permet d'accomplir tant de choses extraordinaires... Cette lumière, je l'ai eue aussi un jour, quand j'ai vu que je pourrai voler puis faire de la voltige.

Cet éclat que nous ressentons tous intensément au fond des yeux quand soudain nous voyons que notre rêve peut avoir une réalité avant qu'elle n'apparaisse, avant que l'esprit ne comprenne qu'il ne s'agit plus d'un rêve ou d'une espérance mais bien d'une chose réelle qui a changé par le seul regard que vous portez sur elle.

Alors n'oublions jamais que le courage, ou le regard que nous portons aujourd'hui sur le monde, dessine nos vies et celui que nous laisserons demain à nos enfants.

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