Le secret des performants

Dr Fanny Nusbaum – Spécialisée en psychologie et neurosciences de l’intelligence, chercheuse associée à l’Université Lyon 1

“Personne n'a jamais fait faillite en spéculant contre des intellectuels.” Nassim Nicholas Taleb

Dans sa vie quotidienne, qui n'a pas rencontré au moins une personne dont il se soit dit : “Mais comment un esprit si lumineux peut-il être aussi empoté ?!”. À l'école, combien d'enfants qu'on dit “intelligents” se trouvent-ils en difficulté quotidienne pour montrer ce dont ils sont capables, alors même que l'école devrait être le terrain rêvé pour exprimer ses facultés de raisonnement ? Au travail, combien de fois avons-nous rencontré des personnes à l'esprit aiguisé et au CV impressionnant qui n'ont pourtant su produire qu'un effet Pschitt quand elles ont dû se montrer opérationnelles, voire performantes ?

L'impasse dans laquelle nous nous sommes trouvés nous a poussés à chercher du côté des soft skills (intelligence émotionnelle), qui font fureur en ce moment. La logique paraissait évidente : ils ont l'esprit, mais pas le cœur (l'empathie, la communication, l'écoute…). Remplaçons donc l'esprit par le cœur et ce sera le jackpot pour l'intelligence collective et la performance… eh non, toujours pas.

L'atmosphère au travail est probablement meilleure, on se dit les choses avec plus de respect, de rondeur, on pratique la communication non violente ; on ne dit plus : “Tu me saouuuuules !”, mais “Je sais que ce n'était pas ton intention, mais ce que tu as dit m'a donné l'impression que tu n'avais pas confiance dans mon jugement. Peut-être pourrions-nous en discuter au calme après le déjeuner ?”… On pensait avoir trouvé la clef, mais hélas, les soft skills – “talents mous”, en français –, ne mobilisent pas davantage la performance au travail. Pire encore : ça ne favorise pas un mieux-être non plus, malgré l'ambiance plus respectueuse et aseptisée. L'institut de sondage Gallup nous annonce ainsi des chiffres alarmants : 7 % seulement des Français se sentiraient engagés dans leur travail !

Alors, où est donc l'intelligence, celle qui nous libère, celle qui nous grandit, celle qui nous donne du sens et des ailes ? Et si l'intelligence n'est ni dans le raisonnement, ni dans l'émotionnel, où se cache-t-elle ? Et surtout, comment peut-elle susciter la performance ?

Voilà de quoi traite mon dernier livre, Le secret des performants : comprendre les vrais mécanismes de l'intelligence et réaliser que son Graal n'est pas la réflexion la plus élaborée qui soit, mais la performance. Ce que je vous livre aujourd'hui n'a l'air de rien, mais c'est une révolution.

Nous sommes tous dotés d'au moins une capacité un peu meilleure que celle de notre voisin. Certains présentent de meilleures capacités dans la technique, d'autres dans le sport, dans la relation à l'autre, dans la musique ou encore dans la réflexion… J'ai appelé ces derniers, dans un livre précédent, les “Philocognitifs”, ces personnes qui passent tout par le filtre de la pensée. Et tous, avec nos capacités particulières dans un domaine ou un autre, nous nous sommes retrouvés parfois en plein état de les exprimer et parfois totalement freinés dans cette expression. Ce ne sont pas nos capacités qui ont changé d'une minute à l'autre, c'est l'état qui nous permettait de les exprimer ou non.

Nous, les experts, avons donc entretenu une confusion durant des décennies entre une capacité et un état. Une capacité ne change pas fondamentalement. Ce qui va faire la différence entre la possibilité d'exprimer au maximum ses capacités, d'être en performance, et l'entrave à cette expression, c'est l'état d'intelligence dans lequel on se trouve.

L'intelligence n'est donc pas la capacité, mais l'ÉTAT qui va révéler les capacités.

On a amalgamé l'image et son révélateur. L'intelligence est un état, au même titre que l'état amoureux, l'état énergétique (fatigue, forme…) ou l'état méditatif. Et, de la même façon que les autres états, on peut identifier différents stades de l'état d'intelligence : l’antiphase, ce décalage négatif avec son environnement qui mène à l'échec et au repli sur soi ; la phase, cet accordage harmonieux où l’on est en compétence dans son écosystème ; la résonance, ce rapport optimal à l'environnement qui porte l’individu vers la performance. Chacun d'entre nous peut se trouver en état de performance à un moment de la journée et d'antiphase à un autre, quelles que soient ses capacités.

J'ai ainsi étudié – sur le plan clinique et comportemental, ainsi que par la recherche en neurosciences – le pattern de la performance, c'est-à-dire les éléments qu'on retrouve invariablement chez des personnes fréquemment en état de performance. Ce pattern comprend trois points :

• Le Performant absorbe l'information de façon principalement intuitive et non pas analytique.
• Le Performant déclenche l'action plus précocement que les autres, dès lors qu'il sent qu'il a fait le tour du sujet qui l'obsède.
• Le Performant n'hésite pas à s'exposer.

À l'école, au travail, dans tous les moments du quotidien, être en intelligence ne consiste pas à raisonner plus et mieux, mais à être en état d'exprimer au mieux ses capacités particulières. Et le stade ultime de l'intelligence, la performance, s'apprend exactement comme on apprend à se trouver en état de méditation. Savoir comment cultiver son intelligence est un service qu'on se rend à soi-même pour un alignement optimal. Et c'est aussi un service qu'on rend à sa communauté. Loin de l'esprit bling-bling et de forçage des années 80, avec son lot de burn-out et de perte de sens, la performance, ici, au contraire, reprend ses lettres de noblesse pour ramener l'individu vers son essence ou plutôt, vers son existence.

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