Quelle stratégie dans l’incertitude ?
Général Vincent Desportes, ancien directeur de l’École de guerre et professeur associé à Sciences Po – Paris
L’incertitude est un présupposé de la stratégie : sans la première, les règles et plans suffisent. Ainsi, la mécanique bien réglée, le moteur qui tourne, la fusée qui fonce vers Mars n’ont nul besoin de stratégie. Ce qui est l’inverse pour l’action menée en milieu incertain : il y a un rapport étroit entre stratégie et incertitude, la première cause de cette incertitude étant humaine : c’est l’inaliénable liberté de l’Autre, qu’il soit extérieur ou composant de l’entité stratégique.
Les stratèges ont toujours établi un lien entre stratégie et incertitude et considéré que plus l’environnement est incertain et volatil, plus indispensable est la stratégie. L’erreur la plus grave serait donc de confondre stratégie et plan. La deuxième erreur consisterait à penser qu’il existe UNE stratégie et que le rôle du stratège est de déterminer ce One Best Way qui conduirait immanquablement au succès. Si la stratégie n’est pas un plan, elle est encore moins un programme. Au cœur d’une confrontation de volontés libres, et souvent opposées, elle est un chemin adaptatif vers le but qui la détermine : il n’y a pas de stratégie sans intention stratégique, donc sans volonté et sans ambition.
Stratégie et ambition
L’ambition, ou la vision, est ainsi l’élément premier de la stratégie puisque la stratégie c’est “aller quelque part”. Cette finalité stratégique remplit de nombreuses fonctions.
- La première est d’être la source de la stratégie. La spécificité du stratège est de construire le présent à partir du futur, de ramener le présent vers le futur. C’est pour cela qu’il peut dominer l’incertitude : il ne bâtit pas sur l’incertain, il va vers le certain, le futur qu’il connait parce qu’il l’a lui-même déterminé.
- La deuxième fonction est de constituer le nord stratégique. Lorsque, inévitablement, l’espace stratégique se comporte différemment de ce qui avait été anticipé, elle sert de point de référence à l’action. Elle permet de faire converger les initiatives des subordonnés, de rendre cohérents les arbitrages incessants que tous, du haut en bas de la ligne hiérarchique, doivent rendre au cours de l'exécution
- La troisième fonction est d'être l'élément fédérateur, celui qui créé la cohésion de l'entité stratégique : on n'appartient au même corps que si l'on a un même but
Stratégie et réalité
Pourtant, si la stratégie est fondée sur le futur, elle est accrochée à la réalité… qui est incertitude ! Il n’y a pas de stratégie hors sol ! Elle se conçoit et se construit au milieu des Hommes, au cœur du monde réel, comme ils sont. C’est la difficulté du stratège : condamné autant à la rationalité qu’à l’empirisme, il doit à la fois douter, au sens cartésien du terme et croire, parce que c’est nécessaire pour avancer malgré les difficultés. Pour penser il faut douter, et pour agir il faut croire !
Le stratège domine l’incertitude à la fois par la finalité et l’adaptation permanente du chemin à la réalité. Une fois l’objectif fixé, le stratège change de cap aussi souvent que nécessaire pour l’atteindre. Napoléon est un maître en la matière, lui qui affirme : "J’ai conçu beaucoup de plans, mais je n’ai jamais eu la liberté d’en exécuter un seul".
Stratégie et tactique Face à l'incertitude
Il faut donc imaginer stratégies et tactiques s’emboîtant comme des matriochkas. À l’extérieur, une enveloppe de stabilité, relativement insensible à l’incertitude. À l’intérieur, des niveaux d’actions passant insensiblement de la grande stratégie à la stratégie, puis de celle-ci à la grande tactique, puis de celle-ci à la tactique puis à la technique. Et plus vous descendez vers le bas, plus vous êtes sensible à l’incertitude et plus vous devez être flexible !
Cette architecture générale permet l’efficacité dans l’incertitude. Une enveloppe supérieure, stratégique apportant sens général et stabilité. Des niveaux inférieurs, avec leurs propres finalités, mais pas leur propre logique : il n’y a qu’une logique générale qui donne leur cohérence aux finalités de niveaux inférieurs. C’est aussi là le rôle du stratège : s’assurer de la convergence d’ensemble, toutes les finalités de niveau inférieur devant concourir à la finalité d’ordre supérieur.
Stratégie et planification
Dans la conception stratégique, l’erreur commune est de chercher à tout prévoir avec précision. C’est inutile parce que nous construisons sur de l’incertain et que l’inextricable entremêlement des actions et réactions fait que l’émergent l’emporte très vite sur le délibéré. Plutôt que de chercher à tout prévoir, il faut savoir conjuguer en permanence le délibéré et l’émergent en acceptant l’aphorisme du général prussien Helmuth von Moltke : “Aucun plan ne résiste au premier coup de canon !” La stratégie est forcément fondée sur des hypothèses : certaines se révéleront justes, d’autres non. Quand on planifie, on doit savoir que l’on n’appliquera pas le plan mais que la planification prépare la rencontre avec l’incertitude. En ce sens, l’enseignement du général Eisenhower est fondamental : “Les plans sont inutiles, mais la planification est indispensable”. Ce qui compte dans la planification, c’est le process, non le produit !
Stratégie humaniste
Le dirigeant d’entreprise doit planifier dans cette compréhension de ce qu’apporte la planification, mais plus encore établir les conditions qui permettent l’adaptation immédiate et permanente du plan à la réalité rencontrée. Et ces conditions sont d’abord humaines : c’est pour cela que stratégie et management sont intrinsèquement liés. Il ne peut y avoir de stratégie qu’humaniste !
Vincent Desportes
Après avoir dirigé l'École de guerre, le général Vincent Desportes, ingénieur et docteur en histoire est aujourd'hui professeur des universités associé à Sciences Po où il enseigne la stratégie, ainsi qu'à HEC. Il a écrit une dizaine d'ouvrages, donc Décider dans l'incertitude (Economica, 2008), et La dernière bataille de France (Gallimard, 2016), Grand Prix 2016 de l'Académie française.
Dans son dernier ouvrage Entrer en stratégie, il nous livre les éléments constitutifs centraux de cet art qu'est la stratégie, quel que soit son domaine d'application, en s'appuyant sur les exemples issus de l'histoire.
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